Qu’est-ce qu’une SSII ?
Les sociétés de services en Ingénierie Informatique, dites SSII, ne sont pas toutes comparables. Nous en connaissons tous qui travaillent correctement en respectant les développeurs. Elles n’ont pas de difficultés à recruter de bons informaticiens. Dans les années 90 il était de bon ton de dire « je suis passé chez Andersen Consulting« . Et bien en 2011, je croise d’anciens salariés de ces cabinets de conseil, qui sont fiers d’avoir travaillé chez X ou Z.
D’autres SSII par contre s’apparentent plus à une agence d’intérim pour informaticiens, qu’à un réel cabinet de conseil informatique.Une première observation : dès lors que le marché se tend, les acheteurs des clients finaux mettent une pression terrible sur les prix. Cher informaticien, je te rappelle que lorsque tu es placé en mission chez un client, ton CV est classé entre la facture des cartouches d’encre et la facture des rouleaux de papier toilettes. Oui, c’est triste à dire, mais l’informatique est souvent externalisée, gérée par des services achats, qui n’ont que faire du Paris JUG et de votre gentille frimousse.
A partir du moment où vous comprenez que le produit, c’est vous, tout s’éclaire. Témoignage de Thibault : « j’étais en stage de fin d’étude pour mon diplôme. J’arrive sur Paris, je trouve un stage dans une petite SSII. Vite placé chez le client, je dois taire le fait que je suis stagiaire et me comporter comme un salarié de la SSII… »
C’est la Crise de l’augmentation de votre salaire
Alors c’est la Crise ma bonne dame. Si vous travaillez dans la Banque, je vais vous donner un secret : on va avoir encore plus de travail. Revenons en 2008, l’affaire Kerviel, la crise des subprimes à l’été 2008, bref le moment où je suis passé indépendant. Et bien les banques en raison de la crise ont renforcé le calcul du risque. Cela a permis à des équipes entières de se monter, ou à d’autres équipes de se renforcer. La Crise génère forcément plus de travail pour les informaticiens. Si demain nous devons faire face à une nouvelle réglementation, qui va-t-on appeler pour coder en quelques mois de nouveaux logiciels ? Et bien c’est toi mon ami.
Cependant la Crise aura aussi des effets surprenants sur votre augmentation. En 2008 on vous refuse 3% car « c’est bientôt la crise ». En 2009 vous avez 0% car « c’est la crise ». Et en 2010 vous avez 0% car « l’an dernier on a eu la crise et c’était dur ». Je vous annonce, la main sur le coeur, que cette année, le tube de fin d’année 2011 sera « on a peur de 2012 et des incertitudes, donc pas d’augmentation« .
Vous êtes un produit, votre coût de production doit être maîtrisé.
Rappelez-vous : cartouches d’encre, papiers toilettes, ton CV.
Nicolas, 25 ans, Expert Java avec 7 ans d’expériences…
Lorsque le jeune développeur devient trop cher car il a acquis une certaine forme d’expérience (plus de 6 mois) il y a alors 2 issues possibles : le reconditionnement en Expert ou l’abattage. Si le développeur fait bien son travail, il aura acquis un savoir-faire chez son client final. Par exemple il pourra devenir « Expert JSF 2 » ou « Expert EJB Java Agile » comme nous le voyons souvent sur des sites comme Munster ou lesDimanche.con…
Ce subtile reconditionnement lui redonne alors une seconde jeunesse, ce qui fait le bonheur du commercial et du patron de la société dite « marchand de viande« . On observe aussi que si le taux de facturation du développeur passe de 400 à 600 EUR/jour, en revanche son salaire reste indexé sur une autre devise, et dépasse péniblement les 3% d’augmentation. Et encore ne vous plaignez pas, c’est la Crise.
Prenons maintenant le cas plus ennuyant où le développeur revient de mission, et ne trouve pas de mission. Par exemple je pense à Sébastien, une connaissance. Une pression amicale de son chef charcutier lui rappelle qu’il est une charge dans le bilan comptable de la boîte et qu’il doit donc se gérer comme un stock sur une ligne comptable.
Sébastien doit alors rapidement écouler son stock de vacances. Pendant ses 3 semaines d’absence en plein mois de novembre, son commercial essaye de le placer quelque part mais sans succès, malgré les nombreux bidonages de CV.
Les clients seraient-ils devenus malins ?
Sébastien rentre de vacances. Après 2 jours passés à s’ennuyer à refaire une formation « Struts 1.x ou JSF ? » il est forcé de repartir chez lui et d’épuiser son stock de RTT. Puis ensuite il doit poser 5 journées sans solde (véridique : entendu lors d’un JUG) et enfin s’il pouvait aussi faire un peu le tapin, ça serait bien pour la compta…
Arrivé à ce stade, si le salarié n’est pas parti, en général cela se termine assez durement. Mais bon, la viande s’abime avec le temps, tout le monde sait cela.
Petite leçon sur la clause de dédit formation
Prenons maintenant une autre approche : Bobby est salarié de la société « Viandes and Co Expert » dont le slogan est « Chez nous, c’est le coût« . Il se débrouille plutôt bien. Il décide qu’il serait temps de se former à de nouvelles technologies, et de profiter du plan formation de l’entreprise. Par un immense coup de bol, il obtient enfin après 3 ans de demande une formation « Expert Spring« . Là il a une vraie chance, mais je vais vous parler dans un instant d’un piège. Mais continuons pour l’instant tout d’abord sur le type de formations que l’on trouve sur le marché, souvent vendues par d’autres marchands de viandes soit-dit en passant…
Lors de mon enquête j’ai trouvé des formations de 5 jours pour 2000 EUR, qui vous apprennent à faire des Applets Java et du Swing. On se fout pas un peu de vous là ? Les Applets et Swing… alors que JavaFX a bien plus d’avenir (*couch *couch, je tousse…).
Bref revenons à Bobby, qui a la chance d’assister à une vraie formation. Avant de partir, son manager (en général son commercial) lui demande juste de signer un petit bout de papier, un avenant à son contrat de travail appelé « Clause de Dédit Formation« . Bobby part ensuite 3 jours, il fait une superbe formation, et il rencontre Mike qui travaille chez « BoombaStick » une entreprise bien plus sympa que « Viandes and Co Expert, leader des viandards« .
Il découvre un autre univers… quoi ? on peut travailler et gagner sa vie honnêtement ?
Quoi ? On peut aller à des conférences ? Et on peut boire des bières avec ses collègues ? Et ils font du judo ?
Je signe où ?
Bref il va vouloir démissionner… C’est pas bien Bobby. Tu es un méchant.
Bobby « pète sa dèm' » comme il dit.
Et son manager (enfin son commercial) lui sort alors un joli papier : Clause de Dédit Formation.
Dans ta face, All-In, ramasse tes dents et retourne bosser.
C’est quoi une ClozeDeuxDédixFormAssion ?
Une clause de dédit formation a pour objet d’exiger d’un salarié ayant bénéficié d’une formation entièrement financée par l’entreprise, de rester un certain temps au service de ladite entreprise.
En cas de départ anticipé, il devra verser une somme forfaitaire fixée à l’avance ou devra rembourser les frais de formation engagés (source : Services-Public.fr).
Je précise que cela ne s’applique qu’aux formations prévues en dehors du plan de formation normal de l’entreprise. En général donc, cela concernera les formations non remboursées par les organismes de formation. Ce système est important et tout à fait juste pour une entreprise en général. Imaginons que vous partiez faire un MBA en alternance pendant 18 mois. Il semble alors normal que l’employeur, en retour, vous demande de rembourser tout ou partie de la formation, dès lors que vous décidez de démissionner.
Sauf qu’une formation de 3 jours même sur Spring, ce n’est pas un MBA de 18 mois. Ou une formation sur JSF1.2 que vous avez eu il y a 12 mois n’a peut-être plus la même valeur aujourd’hui… Sauf que certaines entreprises utilisent cette clause pour décourager les salariés de démissionner. Ils peuvent toujours partir, mais il faudra passer par la case « jugement » et prendre un avocat pour éventuellement casser cette clause.
Une clause de dédit formation s’étudie sur la base des frais réellement engagés par l’entreprise. En général, les équipes RH le font très bien, et il n’y a pas de soucis. Mais combien de jeunes diplômés signent un contrat de travail sans vraiment comprendre où ils mettent les pieds ? Cela vous semble normal de recevoir 3 jours de formation en interne, puis de devoir rembourser une somme forfaitaire de 3500 EUR ?
Prenez soin d’étudier ce qui est du domaine de la formation normale et ce qui est du domaine exceptionnel. Prenons le cas par exemple d’une SSII qui se vante d’être les leaders du marché sur J2EE. Elle vous donne une formation en interne dispensé par un des salariés. Comment alors évaluer à sa juste valeur cette formation ?
Il est important de respecter quelques points sur la formulation des clauses de Dédit Formation :
Pour être légale et valable, la clause doit remplir certaines conditions :
1. Une convention particulière est conclue, avant le départ en formation, entre l’employeur et le salarié précisant les éléments suivants :
– date de la formation, nature et durée,
– coût réel pour l’employeur,
– montant et modalités du remboursement par le salarié.
2. le coût de la formation doit dépasser le montant de la participation légale ou conventionnelle de l’employeur au développement de la formation professionnelle continue
3. l’employeur doit avoir effectivement financé la formation et pouvoir rapporter la preuve de cette dépense. Donc, la formation ne doit pas avoir fait l’objet de financements extérieurs (publics, remboursement OPCA…).
4. le montant de l’indemnité de dédit-formation doit être proportionné aux frais de formation engagés au-delà de l’obligation légale ou conventionnelle
5. le salarié doit conserver sa liberté de rompre son contrat de travail à tout moment. Donc la durée de l’engagement et le montant du remboursement ne doivent pas être excessifsEn ce qui concerne le délai durant lequel le salarié devra rester au service de l’entreprise, il est fixé par l’employeur, sauf si la convention collective fixe cette durée.
Par ailleurs il faut savoir qu’il est possible, selon les juges, d’insérer dans le même contrat de travail une clause de dédit-formation et une clause de non-concurrence (cass. soc. 21 mai 2002, n° 00-42909, BC V n° 169).
( » les énonciations de l’arrêt font ressortir que la clause de dédit-formation ne comportait pas de mention relative au coût réel de la formation pour l’employeur et aux modalités de son remboursement par la salariée « ) ;
voir antérieurement : cass. soc. 4 février 2004 pourvoi n° 01-43651.
Source : Parlons Droit
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Merci aussi à Charles C. et Laurent B. pour leurs témoignages, dont je ne peux reproduire ici l’intégralité.
Bref
Bref, ce jour là j’ai appris ce que voulait dire « ClozeDeuxDédixFormAssion » prononcé très vite par la fille qui m’a reçu en entretien… Bref
Plus sérieusement, lorsqu’une entreprise embauche un informaticien et qu’elle le forme sérieusement en lui donnant de vrais bagages pour la suite (certifications Cisco, Microsoft, Sécurité), il est logique qu’elle sécurise son investissement avec cette clause. Lorsque l’on voit la difficulté à recruter de bons informaticiens et le faible taux de jeunes diplômés qualifiés heureusement que les SSII font l’effort d’embaucher et de former les salariés. Je pense ce que j’écris, et je pèse mes mots.
Allez, je vous laisse, rendez-vous très bientôt pour la suite…
Autres liens :
– Jurisprudence
– la page de la Confédération Française de la Boucherie
– la page du Syntec
– un article passionnant sur le « Contrat Nouvel Embauche » proposé par le Syntec
– pour recruter des développeurs(ses) passionné(e)s : http://www.express-board.fr
– l’équivalent de « Marchands de viande » en Anglais se dit « Body Shopping » (merci @alexrichard_)
Comme souvent, drôle et – malheureusement – réaliste.
Mon moment préféré est « Et ils font du judo ? » . Là j’ai ri 🙂
J’ai récemment vu une autre arnaque de ce type de pratique. L’histoire concernait une personne en pleine reconversion après une thèse en physique (la recherche en France proposant a peu près autant de débouchés que la culture de la banane aux alentours de Tourcoing).
Cette personne s’est vu proposer une formation par une société d’environ 30 jours en Java pour une clause de dédit formation de 75 000 euros ! Clause dégressive sur 3 ans.
Bon, déjà on peut s’interroger sur le contenu de cette fameuse formation pour 75 000 euros. Pour 2500 euros la journée j’espère qu’on fournit des stylos plaqué or, un clavier tactile, un écran 30 pouces et j’en passe.
Mais ça ne s’arrête pas la. En fait quand on lit bien le contrat, cette clause de dédit formation était aussi valable en cas de licenciement, ben oui au cas ou vous auriez tenté de vous faire licencier, vilain profiteur que vous êtes. Sauf que le contrat précise une clause de mobilité nationale.
Autrement dit, mais évidemment cela n’arrive jamais dans cette fabuleuse boite a dimension humaine qui capitalise sur ces collaborateurs, si, par un malheureux hasard donc, la situation économique se dégradait et que l’on vous proposait une mission, à Tourcoing et que vous la refusiez pour des raisons purement égoïstes, on pourrait vous licensier et vous réclamer par la même occasion vos 75 000 euros de dédit formation.
C’est pas beau la vie ?
Salut,
excellent comme souvent, peut être un peu trop sur l’exagération parfois ou alors j’ai la chance de n’être passé que par les bonnes sociétés…
Toutefois une nuance sur « C’est la Crise de l’augmentation de votre salaire », c’est sans doute vrai dans le domaine banquaire mais pas dans les autres.
Chez nous les clients sont plutôt des mutuelles, on voit le nombre des adhérents diminuer avec la crise et les projets repoussés à l’année suivante.
Effectivement la crise entraîne une fusion des mutuelles et donc du travail pour l’homogénéisation des SI. Par contre il y a diminution du nombre de clients et donc de nouveaux applicatifs. Au final le bilan est plutôt négatifs pour nous.
Comme il est déprimant de reconnaître des situations déjà vécues.
Bref, on ne peux pas toujours choisir, mais il faut être conscient de la sauce à laquelle nous allons être mangés.
Article intéressant, anecdote _sur la forme_ scandaleuse.
Une fois de plus les pratiques des SSIIs sont montrées du doigt, en grande partie à raison.
Il ne faut cependant pas oublier que ce sont bien clients qui tirent les TJMs vers le bas, ce qui est la cause initiale de tous ces maux.
Libre à la SSII de ne pas baisser ses tarifs? Ok, c’est sa mort assurée.
Je n’ai jamais aimé ces pratiques qui effectivement, s’apparentent à du marchandage de *produits* plus qu’à une mise à disposition d’Hommes et de leurs compétences, mais j’ai assez vite eu le recul pour m’imaginer à la place d’un directeur de marché et de ne jamais lui envier sa place.
Quant à l’anecdote, aucun commentaire sur la forme, c’est effectivement scandaleux. Sur le fond maintenant si demain je propose à un collaborateur une formation, que j’investis en lui via le coût plus ou moins élevé d’une formation, cela signifie que je lui démontre, en quelque sorte, ma confiance envers lui. J’attends en retour de pouvoir faire profiter mon entité de ce savoir acquis pendant un minimum de temps. En cela, le fond n’est pas absolument mauvais.
En passant, veillez toujours à choisir les formations qui vous ouvrent une certification reconnue 🙂
Enfin, comme je l’ai souvent dit, si tu n’es pas heureux là où tu es, pourquoi y es tu? Autrement dit, ne pas hésiter à changer d’employeur, c’est bon pour diversifier son expérience et c’est très bon pour le salaire et c’est assez facile dans notre domaine.
2 choses :
a) Je ne suis pas le Sébastien de l’article (on me souffle dans l’oreillette que c’est évident. Ah pardon).
b) Le faible taux de syndicalisation dans l’informatique et le fort egoisme des informaticiens font que la plupart n’y connaisse rien sur les droits des salariés. J’ai pu le constater quand j’ai participé (modestement) il y’a bien longtemps à la création du MUNCI. Le fait de se voir et de participer à un forum m’a fait prendre conscience du niveau d’enfumage et du peu de d’effort pour être en conformité avec la loi.
Quelques exemples :
– vous n’avez pas à signer un CRA, car il n’existe aucune relation de subordination avec votre client (en interim oui).
– votre nom ne doit pas apparaitre dans l’annuaire d’entreprise, ni sur un téléphone ou sur une porte. Cela voudrait dire que vous êtes à la place d’un poste interne.
– si vous êtes à un poste longue durée, idem, vous remplacez un poste interne.
Et bien d’autres… Je me souviens d’un client qui me disait que 90% des contrats qu’il voyait était illégaux (cela date de quelques années).
Et je ne parle même pas des chantages pour faire partir les gens. Un conseil : en cas de soucis, tournez vous vers des gens avec un peu de bagages ! Comme le Munci, les syndicats ou des vieux comme moi dans votre LUG préféré.
Merci à Nicolas de rappeler le comportement de ces viandards. Ca me donne envie de participer de nouveau au MUNCI tiens.
Cet article m’interpelle car j’ai malheureusement eu l’occasion d’être dans une situation à peu prêt similaire.
Lorsque on prend le temps d’expliquer a son employeur qu’il n’a aucun intérêt a utiliser ce genre mauvaises pratiques et que cela aura forcément un impact sur votre motivation, il comprend rapidement qu’il a le choix entre vous laisser partir ou traîner un employeur mécontent.
En général si il a minimum de jugeote… il prend rapidement sa décision.