Si nous étions sur une radio, ce billet commencerait par une voix suave et grave (la mienne) avec cette phrase : « Bonjour à tous, bienvenue sur RBDJ la Radio qui te colle le haricot à la portière. Aujourd’hui une question d’un auditeur, Pierre, qui nous pose la question suivante : »
« Je suis salarié, on me propose de me prendre en tant qu’indépendant autre part. Combien dois-je demander pour que l’on me donne le même salaire un peu prêt ? »Là, cher auditeur, j’aurais pris la voix de Maurice, un animateur des années 90, et j’aurais délicatement scalpé l’auditeur. Voici la réponse à sa question, et au passage quelques informations basées sur ma propre expérience (d’indépendant… pas de DJ à la radio).
Tout d’abord, plusieurs signaux forts dans la question me font penser que Pierre a encre besoin de préparer son projet. Le simple fait de dire « on me donne le même salaire » par exemple est intéressant. Si j’étais chef d’entreprise Pierre, je ne te donnerai pas de salaire. Non Pierre, tu es salarié pour une mission à réaliser, pour laquelle tu as un salaire. Mais je ne te donne rien.
Derrière la question se pose un vrai souci : il arrive aujourd’hui que certaines entreprises de services (SSII) utilisent le statut d’auto-entrepreneur pour éviter de s’engager à long terme avec un salarié sur une mission. La vision de cette pseudo-SSII est vraiment alors celle-ci : j’ai un besoin ponctuel d’un bout de viande capable de taper du code, que je vais facture +20% à mon client, voyons quel pigeon je vais bien pouvoir trouver. Elle n’hésitera pas à débaucher un salarié, à l’aider à cliquer sur 3 boutons sur « auto-entrepreneur-je-me-fais-enfler.fr » puis à se dépêcher de prétendre au client final que Pierre (vous suivez ?) est en fait salarié de la dîtes SSII. Qui a dit délit de marchandage ? Pas moi.
Ce qu’il faut savoir tout d’abord c’est qu’il ne peut y avoir de relation de subordination entre le client final et Pierre. Si le client final vient à gérer Pierre comme une ressource de son entreprise, s’il le fait participer aux activités de l’entreprise comme un autre salarié, alors il s’expose au délit de marchandage. C’est grave. On te scalpe délicatement la tête, ça pique.
Ensuite voici pourquoi je suis critique à propos du statut d’auto-entrepreneur. Je rappelle que ce statut n’est valable tant que votre facturation ne dépasse pas 32 600 EUR. Cela vous semble beaucoup, mais attention ici je parle de facturation, pas de votre salaire. Prenons ce chiffre d’affaire, divisons-le par 200 jours de mission, cela donne un prix jour brut de 163 EUR environ. Un développeur Java junior est facturé au moins 260-300 EUR en France. Un vieux comme moi tourne autour des 600-750 EUR/jour. Autant dire que Pierre va passer du statut d’auto-entrepreneur au statut d’Entreprise individuelle classique, qu’il sera donc amené à déclarer ses revenus dans la case BNC de sa déclaration de revenu. Et c’est cela qui coince : lorsque tu es autoentrepreneur(en fait entreprise individuelle), tout ce que tu factures est directement imposable, sans possibilité de moduler et de conserver une trésorerie de sécurité. En étant en EURL, l’entreprise facture, elle te verse chaque mois un salaire fixe, et surtout, elle sera ta meilleure amie lorsque tu seras en intercontrat. Bon il se trouve qu’en EURL l’entreprise, c’est toi. Je recommande donc à ceux qui sont vraiment motivés de créer une EURL pour dissocier la facturation d’une part, et son revenu personnel d’autre part. C’est un moyen d’équilibrer son statut fiscal, d’embaucher aussi des salariés ou de travailler avec des stagiaires. On est plus proche du profil de créateur de startup que du bonhomme qui moissonne le client.
Auto-entrepreneur pour toi informaticien : pas une bonne idée. Voir aussi cet article plus ancien mais toujours d’actualité.
Bon sinon la majorité des propositions « Passe indépendant au lieu d’être salarié » ne sont pas foireuses. C’est même parfois une bonne opportunité de tester si l’on peut travailler en tant qu’indépendant ou non. J’ai déjà écris en long, en large et en ASCII ce que je pensais du statut d’indépendant (independant 2.0 et toute une liste ici). Je ne suis pas du tout dans le prosélitisme. Je crois sincèrement qu’une partie d’entre nous fera de bons indépendants, et qu’une autre partie devrait rester salarié. Ce n’est pas parce que c’est facile de le faire, qu’il faut le faire. Devenir indépendant en soit c’est rien. Ce qui est plus dur c’est de voir si finalement on est tous fait pour cela.
Et la question de Pierre, que j’aurai eu en tête en 2008 lorsque je suis passé indépendant, est tout à fait symptomatique. Pierre pense encore comme un salarié qui est sécurisé par un salaire fixe en fin de moi.
Devenir indépendant, c’est monter une entreprise. Avec un chiffre d’affaire qui peut être de 15000 EUR un mois, et rien du tout le mois suivant. Et quand je dis 12000 EUR c’est vrai. En janvier dernier mon entreprise a facturé 20 jours à 600 EUR, mais en avril je n’ai pas facturé du tout. On comprend bien dans ce cas qu’il faut séparer la vision de facturation d’une part, de la vision de sa propre rémunération. En EURL, vers le mois d’avril vous établissez votre bilan de l’année précédente. Ceci permet de déposer vos comptes, de calculer vos charges et votre IS, et de vous verser un dividende si vous le souhaitez. Vous pouvez donc prendre un salaire chaque mois, mettons de 2500 EUR, puis ensuite vous verser un dividende l’année suivante, comme une sorte de bonus en quelques sortes. Cependant, et j’en ai fait l’expérience en 2009 pendant 3 mois, il est important de conserver une trésorerie de sécurité. Vous devez idéalement garder 2 ou 3 mois de trésorerie d’avance, afin de vous couvrir en cas de pépin.
Bref pour Pierre, il n’y a pas de réponses précises à sa question. Il peut déjà déterminer sa valeur sur le marché.
Lorsque vous êtes salariés, votre négociation de salaire a lieu une fois par an. Vous pouvez parfois obtenir 2 ou 3% par les temps qui courent, mais celle-ci dépend aussi de la santé de votre entreprise. Lorsque vous êtes indépendant, vous choisissez vos missions, et la facturation (donc indirectement votre revenu) n’est qu’un critère avec la durée et les conditions de réalisation de la mission. Avec le recul, les meilleures facturations que j’ai eu n’étaient pas les meilleures missions au final d’un point de vue technique. Bref si vous pensez qu’une mission pour un client peut vous apporter un nouveau savoir faire technique, n’hésitez pas à baisser votre facturation.
C’est quoi ta facturation ?
C’est le prix hors-taxes facturé au client par jour de travail effectué. En général, dans un contrat de prestations de services, le client contractualise un nombre de jours fixes (par exemple 30 jours) pour un prix donné. Ensuite lorsque tu réalises la mission, tu effectues un décompte (et une facture) en fin de mois, en tenant un décompte des jours effectués. J’aime bien aussi partager un Google Docs avec mon client dans lequel je marque ce qui a été effectué jour par jour. Cela aide à comprendre l’investissement de son client.
Enfin pour Pierre, qui s’est vu proposer cela, je lui déconseille de se lancer s’il n’a pas vraiment envie de devenir indépendant. Comme je le disais il y a 2 ans : en devenant indépendant, tu deviens dépendant de tout le monde.
Pas de commercial pour vendre ton beau sourire, pas toujours des collègues de travail, pas de sécurité, plus de travail au final.
Mais plus de liberté, plus de possibilités de se placer sur de belles opportunités car par rapport à un salarié, nous sommes employable le lundi suivant.
A réflechir…
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Bonjour Nicolas,
Avant de me lancer indépendant en Août 2011, je me suis posé la même question. A la recherche de réponse, de conseil, je suis tombé sur ton blog.
Aujourd’hui, je suis indépendant, j’ai une mission qui se passe très bien, aucun problème de facturation ni de trésorerie. Et tout cela, c’est un petit peu grâce à ton blog, qui finalement m’a permis d’avoir à aperçu de l’indépendant dans sa globalité, avec ses risques et ses avantages. Alors bien sûr, on ne devient pas indépendant en lisant ton blog, et comme tu le dis, certains sont aptes à le devenir et d’autres moins. Mais tes témoignages ont l’avantage pour certains qui hésitent à nous aider à franchir le pas, et pour d’autres, au contraire, de les empêcher de se lancer dans un projet qui ne leur correspond pas.
Ainsi, je te remercie, et je continue toujours à prendre un grand plaisir à lire tes articles 🙂
Cordialement
Vouloir le même revenus « net » est une erreur et tu l’expliques bien (je rappelle qu’un indep c’est : pas de chômage, 2 fois moins de retraite, pas de prévoyance, pas de congés payés, des crédits perso et immo moins facile et à taux + haut).
Quand je suis passé indep, j’ai fait pas mal de calcul et je suis tombé sur un chiffre « magique » pour connaitre votre tarif journalier à partir de votre net mensuel, il suffit de multiplier votre net mensuel par 0.15 et vous obtenez un TJM pas déconnant. C’est logique, car votre salaire est lié à votre expérience / compétence et le TJM, bah c’est pareil.
J’en profite pour faire un lien vers cette calculatrice de revenus en EURL : http://www.java-freelance.fr/calculatrice Si vous appliquez le chiffre magique à votre net salarié et que vous utilisez la calculatrice, votre net devrait être presque doublé, c’est normal.
Pour ceux qui seraient intéressés, ma vie de freelance : http://www.java-freelance.fr/category/freelance
Hello, je pensais, dans cette article, trouver une réponse à une question que je me pose depuis un petit moment : quelle est le pourcentage de charges au final ?
Julien, tu peux compter environ 50% de charges.
Mais il faut voir que sur le reste, tu peux aussi déclarer des frais de fonctionnement (transport, repas, matériel info, billets à devoxx ;), …) qui se déduisent de ton salaire (les autres 50%) pour devenir des remboursements de frais (= fiche de paye moins conséquente = moins d’impôts, mais moins de cotisations (retraite, etc.))
@thomas @julien faux ! Et il faut préciser l’assiette.. En EURL, 33% sur les revenus versés soit 25% du chiffre d’affaire hors frais en obligatoire. Sur mon dernier bilan je suis à 7% de frais en tout genre : repas, conf, transport, hotel, tel, Internet et compta.. ( a deduire du CA donc)
Ensuite il faut ajouter l’IR mais ça, c’est comme tout Le monde 🙂
Ah… Maurice Radio Libre 🙂
Merci pour ces « éclairages ». C’est une question toujours compliquée !
Bonjour,
J’ai bien compris tout le mal qu’on pensait ici du statut d’autoentrepreneur, mais j’ai tout de même une question par rapport à celui-ci.
Imaginons que par l’intermédiaire de mon réseau (lors d’une fin de soirée au paris jug par ex!), j’ai vent d’une mission top-bien, grassement facturable, etc, et que je sois dispo très vite.
N’ai je pas intérêt à démarrer en statut d’auto entrepreneur, ne serais ce que pour pouvoir émettre une facture, avec le numéro de Siret/Siren qui va bien? Quitte à migrer au bout d’un mois ou deux vers un statut plus apprécié sur ce blog comme l’EURL? Je connais des gens qui ont fait cette démarche en effectuant un portage salarial. Est ce qqc de valable?
Merci pour vos commentaires!
@Thom : si tu le sens, vas-y. Une fois ta mission commencée tu n’auras pas le temps de créer une EURL. Cela demande un peu de travail. Le portage parait plus adapté dans ce cas. Ceci te permet de tester et de voir ce que cela donne. Je ne pense pas de « mal » du statut d’auto-entrepreneur. J’explique simplement qu’il n’est pas le plus adapté pour les informaticiens. Après chacun fait ce qu’il veut.
Il faut savoir que tu as 1 mois pour immatriculer ta société à partir de sa création (création == signature des statuts) (immatriculation == enregistrement au greffe). Donc tu peux commencer à bosser sans avoir de Siret, ça ne pose pas de problème, sur la facture tu mettras « En cours d’immatriculation »
De plus le « un peu de boulot » c’est 2h chez le banquier, une journée pour se renseigner et faire les démarches… c’est pas la mort et ça tend à se simplifier de plus en plus.
Je permets de rebondir sur ce que Jean-Baptiste a dit. A part les deux heures chez le banquier, tu as la possibilité de faire \ »monter\ » ta boite par un comptable, ce que j\’ai fait. Ça m\’a couté un peu d\’argent, certes, mais cela a le mérite de paralléliser ta première mission et le montage de ta société.