Le JUG Summer Camp c’est aussi un déjeuner assis, une très bonne idée qui permet de discuter avec pas mal de monde. Voyez les photos, et la terrasse pour prendre le café. C’est vraiment top.
Je file dans la grande salle pour écouter la présentation d’Alexis MP sur ces derniers mois passés chez Oracle. Alexis pose la question : ange ou démon ? Il donne son point de vue d’ex-employé de SUN, afin de nous raconter la vie chez Oracle.
Revenons en avril 2009. Oracle rachète SUN pour 7.4 Milliard d’USD. Les premières réactions de la communauté sont très réservées. Les titres de la presse à l’époque parlent de MySQL, Oracle va tuer son principal concurrent. En 2011, MySQL se porte bien, merci pour lui. Et le projet tourne bien. En mai 2009 la commission européenne s’inquiète d’un risque important de domination du marché et bloque le rachat. Oracle adopte alors une attitude simple : pas de communications officielles tant que le dossier n’est pas résolu. En novembre 2009 à Devoxx, James Gosling peine à raconter quelque chose d’intéressant, obligé de tenir le silence radio.
Comme autre private joke, Alexis raconte que les employés de SUN s’inquietent du fait que Larry n’aime pas les Macs. Ce qui est vrai. Personnellement je n’y crois pas trop, Larry étant aussi administrateur au board d’Apple. Mais bref, si chez SUN les employés peuvent travailler avec un Mac, chez Oracle il faut prendre un bon gros Dell qui sera cassé ou obsolète quelques mois plus tard.
Le 4 février 2010, la Communauté Européenne approuve le rachat et la situation est dénouée. Oracle devient propriétaire de SUN. En janvier 2010, Oracle officialise l’avis de décès de la communauté Open-Source pour OpenSolaris. Oracle annonce que le développement sera effectué par des d’Oracle (ex-SUN). Dans les faits, 95% du code était déjà écrit par des employés de SUN, Oracle rationalise cela tout simplement. Avant de crier au loup, sachez que le code de Solaris 11 sera libre et facilement d’accès, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui par exemple pour le code de la plateforme Android… Donc si Oracle peut passer comme un Démon, dans ce cas c’est plus du pragmatisme : le code est développé par des salariés d’Oracle.
En mars 2010 à la conférence EclipseCon, Oracle rassure la communauté en publiant un message très clair sur la volonté de la compagnie pour les années à venir. En avril 2010, James Gosling, le papa de Java, s’en va. Ce n’est pas bon pour la communauté. Mais d’un point de vue purement interne, James était « vice-président » chez SUN, et il n’a pas trouvé de place (ndlr: et peut-être aussi un accord financier assez intéressant).
Autre couac en juillet 2010. Oracle change le nom de Java dans la JVM. Catastrophe pour le meilleur IDE du monde, Eclipse ne démarre plus…
Juillet 2010 Oracle change le nom de Java, Eclipse ne démarre plus… oups. Mais le problème est rapidement résolu. Mauvais effet dans la communauté, mais la machine Oracle réagit très rapidement.
Oracle attaque ensuite Google à l’été 2010 pour une violation de quelques brevets sur la JVM. En l’état, rien d’original. SUN était même pire, avec plus d’avocats. Oracle protège la JVM et ne veut pas que Google casse la JVM. Le méchant dans l’histoire, c’est Google. J’étais l’un des rares dans la blogosphère à trouver cela presque normal en septembre 2010.
En septembre 2010, Oracle organise Oracle Open World, la plus grosse conférence à San Francisco avec environ 30 000 personnes sur une semaine. JavaOne est déplacé du mois de juin au mois de septembre, placé dans 3 hôtels différents. Le message est clair : le driver c’est Oracle. Duke qui représente la communauté est un peu plus ennuyé, peu habitué au déballage méga-commerciale d’Oracle. Le contenu de la conférence est bon, mais la logistique est très moyenne pour ce nouveau format de Java One.
A l’occasion de JavaOne 2010, Oracle dévoile aussi sa volonté de faire avancer Java 7 et 8, au point mort à l’époque de SUN depuis quelques temps. Un plan détaillé est annoncé, puis confirmé à Devoxx 2010. A cette époque on parle peu du JCP. IBM rejoint le projet OpenJDK et c’est aussi le début d’une marche en avant pour faire avancer Java. La communauté est contente de voir que les choses repartent, surtout à Devoxx 2010. Clairement, Oracle remet le paquebot en marche.
En octobre 2010, une mauvaise nouvelle, vite écartée, fait planer le doute sur l’existence d’une JVM v7 pour Mac. Or finalement, Mac OS X Lion a conservé son installation de Java par défaut. Un mac avec Lion dispose de Java 6 update 26, soit une version très récente, et en 64 bits en plus. Finalement, pas d’inquiétudes de ce côté.
Dans la série des couacs chez Oracle, Alexis rappelle l’aventure Hologic. Les membres du JCP s’inquiète de voir une entreprise venue de nul part, s’inviter comme membre du JCP. Et rapidement, les liens trop étroits avec Oracle font passer cette candidature pour du népotisme. Hologic sera finalement refusé et ne rejoindra pas le board des membres du JCP. La communauté Open-Source s’inquiète des manœuvres d’Oracle avec le JCP.
La fondation Apache est proposée par Oracle, et est réélue sans soucis. Eclipse, Google et RedHat sont aussi réélus comme membres du Java Community Process. Cependant, Apache qui est en bataille avec SUN sur le problème du TCK, décide finalement de quitter le JCP quelques mois plus tard. D’autres acteurs comme Doug Lea laissent aussi tomber le JCP. C’est la fin de l’ère SUN au JCP. Oracle promet d’adresser le problème de la gouvernance du JCP. Il y a eu depuis des JCR et un travail est en cours pour réformer le JCP. Clairement, terminé l’ère SUN qui contrôle tout, Oracle se veut plus démocratique.
La communauté grince encore des dents lorsqu’Oracle annonce un peu balourdement une version « premium » de la JVM. Les journalistes mal lunés crient au loup, trop content d’avoir trouvé une petite culotte dans le sac de Larry. Bien que cela puisse surprendre, il faut savoir qu’il existe depuis toujours chez SUN un programme de labélisation pour avoir une JVM sticked. Lorsque j’étais chez Reuters, nous payions un prix assez important pour avoir une version labellisé. Oubliez votre esprit de geek. Ce type d’accord permet en fait de déplacer le risque de l’éditeur vers le fournisseur de la JVM. C’est un montage juridique indispensable aux USA pour vendre une licence d’un logiciel financier à plusieurs millions d’euro. Une autre planète je vous dis.
Oracle annonce par contre la convergence de Hotspot, la JVM de SUN et de JRockit, la JVM d’Oracle. Alexis ne donne pas trop de détails précis sur ce point. Est-ce un bien ? est-ce un mal ? JRockit est une excellente JVM côté serveur, plus puissante il y a 5-8 ans qu’Hotspot.
Oracle et Apple annonce ensuite OpenJDK Projet for Mac. Le jour de l’annonce, ce sera le 4ème mot clé le plus populaire sur Twitter.
Oracle gagne aussi un procès contre SAP dans l’affaire TomorrowNow. Cependant SAP a fait appel, et l’amende initiale de 1.3 Md$ risque d’être revue à la baisse très prochainement (voir cet article)
A Devoxx 2010, la communauté est heureuse de voir qu’Oracle travaille sur Java 7. Mark Reinhold annonce lors de la keynote que 4 nouvelles JSR ont été postées dans la nuit : JSR 334 JSR 335 JSR 336 et JSR 337. A titre personnel, je suis content de voir qu’Oracle fait de belles annonces à Devoxx, ce qui montre bien l’importance de cette conférence en Europe.
A l’été 2011 enfin, Java 7 arrive presque 7 ans après Java 6… Cette version se sera fait attendre, et la communauté ne réagit pas vraiment. Mais rappelons-nous la sortie de Java 5 et Java 6, et le peu d’entrain au départ de la part des développeurs pour apprendre ces nouvelles fonctionnalités. Java 7 est une transition et Java 8 sera plus modulaire, plus puissant. Ce qui est une bonne nouvelle : les choses avancent.
Alexis parle ensuite de Glassfish 3.1 et bien entendu des serveurs d’applications d’Oracle. Difficile pour l’instant de voir l’avenir à 5 ans. Mais Oracle conserve ses projets qui sont complémentaires.
Java enfin depuis 4 ans c’est surtout une communauté. En France, plus de 19 Java User Group. Devoxx c’est 3200 développeurs de 43 pays différents. Chaque mois, vous imaginez le nombre d’heures de présentations effectué par des bénévoles, par des passionnés, devant un auditoire ? 210 personnes à Paris, peut-être 100 à Lyon, 80 à Bordeaux, Toulouse, Lille ou à Rouen… Chaque mois c’est presque 200 heures de conférence, partout en France. Et ça, ça n’existait pas il y a 4 ans.
Alexis termine en parlant de la réorganisation du JCP avec la JSR 348. Plus de transparence, de participation et une meilleure gouvernance. La JSR 348 réforme le JCP. Une deuxième JSR sera par contre plus complexe à faire évoluer, avec le document JSPA, gros sujet de discorde avec la fondation Apache.
L’alliance OpenJDK aujourd’hui c’est ausis Oracle / RedHat / IBM / Apple / SAP.
Alexis résume ses 18 derniers mois chez Oracle en nous expliquant qu’il y a une nouvelle philosophie. Oracle n’annonce quelque chose que lorsque c’est certain. Si cela semble frustrant, c’est aussi la garantie d’une meilleure communication. L’entreprise est là pour développer son chiffre d’affaire tout en aidant la communauté Java. Oracle c’est 108 000 employés dans le monde, une formidable réussite commerciale. C’est une sécurité sur la gouvernance de Java. Que se serait-il passé si IBM avait racheté SUN ? Je pense que cela aurait été une catastrophe. IBM est une boite de service, Oracle est un éditeur de logiciel.
Enfin si vous aimez la presse à scandale, lisez les articles de Neil Mc Allister, journaliste freelance qui publie des articles sur InfoWorld et grand ami d’Alexis…
C’est marrant.
Oui, une longue période de transition semble prendre fin. Peut-être moins d’immobilisme? Une action plus cohérente?
Mais… je sais pas. L’ère Oracle me semble beaucoup moins marrante que l’ère Sun. C’est une question de goût. Fini le barbu hirsute fier de sa collection de tee-shirts pourris. Bienvenue dans un monde sérieux, un monde crédible, un monde bancable.
Décidément je n’aime pas tellement ce monde là.
7 ans par rapport à Java 5, 4.5 par rapport à Java 6.
Bon, c’est dommage que SUN ne soit plus.
Il est vrai que l’on pouvait avoir l’impression que SUN, c’était le petit poucet qui faisait la nique aux grands méchants ogres qui menacaient tout autour : du coup, SUN gagnait là un capital sympathie non négligeable.
Reste que, lors de ses dernières années, SUN a commis moults d’erreurs et s’est mis en situation de ne pas fournir ce qu’il avait promis :
– rachat de Cobalt, un constructeur matériel couplé à du Linux : rachat couteux et qui n’a rien donné
– rachat de MySQL, soit disant pour réaliser un package SUN/MySQL et optimiser MySQL pour Solaris : le rachat a fait un autre trou dans la trésorie SUN (et précipé sa chute), et on peut se demander pourquoi un tel rachat (infructueux) alors qu’un accord aurait aussi bien pu faire l’affaire.
– etc.
Et coté technos:
– techno Swing vieillissante et au développement gelé,
– pas de Java Browser Edition,
– problème éternel des applets et de leur démarrage,
– gué-guerres autour du dev de OpenOffice,
– etc.
De ce point de vue, l’attitude plus tranchée d’Oracle nous évite ces errements pénibles, que ce soit du fait d’Oracle (développement de JavaFX) ou à son corps défendant (fork de OpenOffice pour donner lieu à LibreOffice).
Mais c’est quand même un peu dommage, parce que si SUN a eu un sévère coup de mou (période du JDK 1.3, JDK 1.4), il a semblé se reprendre ensuite coté techno (JDK 1.5, JDK 1.6, Glassfish, dev open source…).
Mais ses errements, principalement en matière de rachats (IMHO), avaient tellement plombé sa trésorerie que, même si la route était redevenue plus droite, la pente était trop forte. Trop tard. Crash en plein redécollage.
Il m’en reste, comme leçon, que les grandes annonces à coups de rachat sont vraisemblablement très improductives/délicates (pb de clash de culture d’entreprise ? ou de business roadmap faite de copier/coller mal ficelés ?).
Pour rigoler et déterminer sa crédibilité, il serait intéressant de revoir ses anciennes conférences sur le sujet (notamment à l’époque de Sun). Ca remettrait peut être en perspective. Et les arguments sur ce qui s’est passé avec OpenSolaris, Jenkins, OpenOffice et MySQL me semble bien légers…
Ça dégouline quand même beaucoup de gentillesse. J’ai des amis ayant travaillés pour oracle à Dublin, Paris et Toronto et ils ne sont pas aussi souriants sur leur ex employeur.
@Sébastien, tu vas avoir du mal à trouver des contradictions flagrantes sur OpenSolaris, Hudson/Jenkins, OpenOffice et MySQL entre ce que j’ai dis à La Rochelle et mes présentations à casquette Sun. D’abord par ce qu’aucun n’était mon domaine d’expertise et ensuite parce que pour cette même raison je n’ai pas couvert ces sujets en détails dans cette présentation là non plus.
@Dominique: plutôt d’accord avec ton analyse. D’autres aussi ont parlé de fin d’adolescence avec ce rachat et en particulier pour Java.