Il est 10h40, elle débarque dans l’open-space, jette un bonjour tout le monde, puis se pose dans le canapé avec son laptop. Plus exactement, son enveloppe charnelle débarque. Car Camille « n’est pas du matin« . Elle bosse souvent tard le soir, mais pour ses collègues, elle passe toujours pour « celle qui arrive à 10h40« . Ton oeil de manager a bien noté que l’oiseau de nuit arrive précisément à 10h40. Elle habite loin, et elle doit bien se lever à une heure précise… Mais bon, elle arrive toujours après les autres. Et elle reste souvent une heure après, ce que les autres ne voient pas (évidemment). Sans même parler de ses résultats qui sont excellent, à la limite la seule chose qui compte vraiment non ?
A côté d’elle il y a Erwan, jeune papa, qui pour le coup, fait souvent l’ouverture à 8h30, disparaît entre midi et deux, et reste artificiellement jusqu’à 17h01 « pour ne pas être le premier à partir« . Lorsque notre client favori décide de faire une réunion à 17h, forcément il est parti. A Paris on aime bien ça nous les réunions à 17h. Souvent on ne sait pas trop de quoi on va parler. Et souvent la réunion commence à 17h10 le temps de trouver tout le monde. Mais bon, Erwan il s’en fiche, il est déjà parti, et il a peut-être raison.
Il s’agit de 2 personnages fictifs, mais soyons clair, des personnages que vous avez très certainement croisés dans votre carrière.
Pourquoi faut-il encore venir à des heures fixes au bureau ? Dans les années 90, les gens n’avaient pas de téléphone portable, pas d’ordinateur portable. Cela pouvait encore avoir un sens. Mais là, au nom de quoi faut-il que je vienne à une heure précise ? Si je suis pas du matin ? Si au contraire je préfère démarrer tôt et finir plus tôt dans l’après-midi pour profiter d’une deuxième vie après le travail ? Et si je n’ai pas la pêche un jour, pourquoi se forcer à venir ?
L’unité de lieu est héritée en partie de la vision du travail du XIX siècle et du XXème siècle. Tu vas à la mine, à l’usine ou à l’atelier. Unité de lieu car ton travail ne peut pas se réaliser à distance. Unité de temps parce que tu fais des horaires fixes, tu pointes, les machines démarrent et les machines s’arrêtent. Et puis les outils ont évolué. L’informatique permet de travailler à distance. Tout le monde est joignable sur son téléphone portable. Les murs de l’entreprise sont tombés, et toi, tu dois gérer une équipe de développement ?
A priori sur le papier, le job semble intéressant. Les informaticiens utilisent tout un ensemble d’outils pour travailler de façon désynchronisée, et distribuée. Le noyau du logiciel Linux a été co-développé à travers le monde. Git, le gestionnaire de source, a été créé par Linus Torvald. Ces sacrés développeurs doivent bien avoir une recette magique pour travailler ensemble. A quoi bon mettre un(e) responsable ?
Nous touchons du doigt le vrai sujet de cet article : comment va-t-on « manager » ces collaborateurs ?
Pour ma part je pense que le bureau est un lieu important, et indispensable pour travailler. Il est possible de laisser ses collaborateurs travailler de temps en temps à distance. Mais il ne faut pas détruire pour autant le bureau. C’est un lieu social. On discute, il y a des interactions sociales, et il n’y a pas « que » le travail. La semaine dernière nous avons mangé des madeleines fourrées à la pâte à tartiner. On ne fait pas « que » travailler, sinon autant rester chez soi non ?
Ce qui marche par contre, c’est d’équiper tout le monde d’ordinateur portable. Une première barrière se lève. Je peux travailler du canapé, de mon bureau, de la salle de réunion. Mais je peux aussi travailler de la maison et garder mon fils qui est malade. Et je peux éviter de passer 10 heures par semaine dans les transports en commun.
Alors comment cela peut-il fonctionner ? Tout d’abord le management doit établir clairement qu’il y a une relation de confiance. On évalue sur le résultat, et sur la qualité d’interaction avec les autres. Le jugement est donc à 360 degres. Tout le monde a un avis sur tout le monde, et le rôle du manager est d’être le catalyseur et l’actionneur pour que le collaborateur s’épanouisse. Catalyseur pour écouter les avis et aider à travailler à distance. Actionneur pour mettre en place des moments de synchronisation entre toutes les compétences et rassembler/coordonner les personnes d’une équipe. Cela fonctionne car chaque développeur appartient à une équipe et donc à un projet à un instant T. Certes, il gagne à discuter et à échanger avec d’autres collègues. Mais ce n’est pas indispensable. C’est un plus.
Parfois, et en particulier avec les personnes les moins expérimentées, je préfère qu’elles ne travaillent pas à distance, mais qu’elles passent du temps autant que possible avec d’autres personnes. Levez-vous, prenez un des petits tabourets, allez vous assoir et observer. Une journée réussie c’est une journée où j’ai pu apprendre quelque chose. Et une partie du métier de développeur s’apprend en regardant ce que font les devs les plus expérimentés.
Travailler chez soi demande cependant aussi un cadre. Idéalement un bureau. Mais un endroit au calme, où l’on peut marquer la séparation entre le monde professionnel, et le monde personnel. Il ne faut pas sous-estimer l’importance d’avoir un bon équipement, et une bonne connexion Internet. Forcément, pour ceux qui n’ont pas le haut débit, cela complique un peu le travail.
Est-ce que l’entreprise doit payer un fauteuil confortable et un bureau ? Pourquoi pas. Mais les vrais contrat de télé-travail sont bien plus contraignants et ne sont pas encore adaptés à la réalité. Si l’on pouvait faire confiance aux employeurs et aux employés pour trouver la meilleur formule, ce serait parfait.
Dans certaines sociétés où tous les collaborateurs sont distribués à travers le monde, ils fonctionnent en vidéo conférence permanente. Initié par Foursquare avec le projet « The Portal » il s’agit tout simplement de laisser ouvert un Google Hanghout toute la journée. Avec le son et l’image. Simple et facile à mettre en oeuvre.
Dans la société où je travaille, nous utilisons exclusivement Slack pour la communication entre nous. Nous avons un channel par projet. Des channels sur certains thèmes (Java, Scala, Kotlin). Des channels pour se détendre (#random. #whatmusic pr découvrir ce que vos collègues écoutent…). Et enfin des channels avec nos clients, sur lesquels nous intervenons. Ceci permet à chacun de discuter avec les clients (souvent d’autres développeurs, mais pas que…).
Slack a tué les courriers électroniques, et évite aussi beaucoup de réunion. En fait, je crois que nous n’avons presque pas de réunion en interne. Les seuls réunions sont à l’initiative de nos clients, et ce sont des moments de synchronisation importants.
En tant que manager, auparavant je devais faire passer l’information, et parfois, mon management était basé sur le pattern « en fait, j’en sais plus que toi, j’ai un coup d’avance« . En 2018 avec Slack, ce sont plus souvent mes collaborateurs qui m’informent de quelque chose, que l’inverse. Imaginez si je n’avais pas confiance en eux… Je devrais vérifier et sur-vérifier chaque information.
Du coup, ont-ils besoin d’un manager ?
Un autre levier important, sur le management, est de toujours considérer son équipe pour ce qu’elle est : des adultes. On parle de personnes responsables, père ou mère, avec à priori une envie de bien faire et de s’épanouir. Chacun est responsable, et la somme de toutes les intelligences est plus importante que l’intelligence individuelle . Dis autrement : gérez vos collaborateurs comme des enfants, et ils adopteront ce comportement. Gérez-les comme des adultes, et cela se passera bien.
Forcément, au moment du recrutement, se pose la question de présenter un peu tout cela. Car pour que cela fonctionne, il faut chercher des personnes qui souhaitent s’épanouir dans ce cadre. Un fonctionnement où la hiérarchie est peu présente ne conviendra pas à celui qui a besoin d’un cadre et d’un peu de politique pour exister. Il faut donc présenter le fonctionnement, expliquer le quotidien et les rites internes afin que chacun vienne pour celui qu’il va être, pas pour ce qu’il va faire. Il suffit de réfléchir à ce que l’entreprise peut t’apporter, pour décider si tu viens ou non.
Faire du « Scala » ou faire du « Java » n’est pas un but dans la vie. Quand vous en aurez fait le tour, il faudra d’autres challenges pour s’épanouir. Et donc, est-ce que votre entreprise actuelle peut vous apporter ce petit plus ?
Je pense par contre que le métier de manager va devoir fortement s’adapter dans les années qui viennent. Aujourd’hui, être responsable d’une équipe de développeurs c’est faire aussi un peu de R.H. C’est faire de la technique, mais c’est aussi faire du service au nom du client. C’est faire un peu de gestion des ressources humaines car on gère l’être autant que le salarié. C’est faire partager son expérience et aider chacun à avancer, à résoudre des problèmes techniques, tout en participant autant que possible au développement de la société et des projets clients.
Je n’ai pas encore toutes les réponses à la question posée au début de cet article.
Pour conclure, le rôle du manager est donc indispensable et incontournable pour tout développeur. Sans même parler de titre, chacun de vous sera amené à être un manager à son niveau. Sur son projet, avec son équipe, au sein d’une mission pour un client donné. C’est pourquoi il est important de connaître quelle est votre culture, celle de votre entreprise et vos valeurs. Cela suffit à faire fonctionner une équipe autonome, organisée et responsable. Le manager se doit d’être présent pour gérer l’exceptionnel. Pas le quotidien. Tout ce qui se passe bien n’a pas à être controlé.
Sur ce, j’y retourne. Un nouveau vient d’arriver dans l’open-space.
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Billet sympathique, merci !
« Mais je peux aussi travailler de la maison et garder mon fils qui est malade. »
Attention, faire du télétravail/home office ce n’est pas rester chez soi et en plus du reste, travailler quand on a le temps.
C’est bien nuancé un peu plus loin dans le billet : » Mais un endroit au calme, où l’on peut marquer la séparation entre le monde professionnel, et le monde personnel ».
Il faut poser des limites. Typiquement un bureau (la pièce pas le meuble) qui permet de s’isoler pour travailler c’est un excellent premier pas :
– vous ne travaillez pas là où vous vous détendez/faites la cuisine/dormez. Et inversement.
– vous pouvez vous isoler si besoin. Rien ne vous empêche de travailler dans votre canapé ou votre hamac si vous aimez ça. Mais si vous avez quelqu’un d’autre chez vous (humain ou animal 😀 ), c’est très pratique de pouvoir s’isoler pour une réunion importante et ne pas être dérangé.
J’ajouterai qu’en plus de marquer la séparation entre les deux mondes ça permet aussi d’équilibrer les deux. A la fin de la journée (peu importe si c’est à 17h01 ou 20h, pour reprendre vos deux exemples) et que vous êtes en télétravail, vous éteignez votre ordinateur portable et le posez dans votre bureau. Ça vous évite de « jeter un coup d’œil à ce compte rendu que vous n’avez pas eu le temps de lire aujourd’hui » pendant que vous vous détendez.