Un moment philosophique sur le Touilleur Express. Oui nous on est comme ça : je peux te parler d’un outil web, de la dernière librairie ou de philosophie avec Platon et Spinoza. Il est temps d’écouter André Comte-Sponvile, Philosophe, qui revient pour la 2ème fois à l’USI pour nous parler du bonheur au travail. Voici une retranscription presque live de sa présentation donnée aujourd’hui à l’USI 2012.
Résume de l’an dernier (voir l’épisode 1 sur le Touilleur) pour commencer. Nous allons parler de travail et particulièrement de la définition du bonheur au travail. Thème : sens du travail, bonheur et motivation.
Premiere chose le travail n’est pas une valeur morale. L’amour du travail bien fait en est une. Pas le travail. Ce n’est pas un but et une fin en soi. C’est pour cela que le travail doit avoir un sens. La valeur est intrinsèque alors que le sens est extrinsèque. Il renvoit à autre chose que lui-même. On travail toujours pour autre chose que le travail. L’amour fait sens.
André Comte-Sponville continue en expliquant que l’on travaille non pas pour travailler… mais pour étre heureux. On travaille pour le bonheur qu’il permet grâce par exemple au salaire. Pourtant rien n’empêche d’avoir du bonheur au travail. N’est-il pas dommage de devoir attendre la fin de la journée ou la retraite pour etre heureux ? Comment faire pour avoir du bonheur au travail ou pour avoir des salariés heureux ?
Vos collaborateurs, si nous nous adressons aux managers, ne travaillent pas par devoir ni par amour du client. Ils travaillent pour être heureux. Ce sont des êtres humains. Tout homme et toute femme veut être heureux, formule de B.Pascal. La volonté de l’homme cherche à l’amener au bonheur. L’Homme fait tout pour etre heureux.
A l’extrême, celui qui se suicide se tue pour ne plus souffrir et mettre fin à la souffrane. Tout homme, toute femme veut etre heureux. Meme celui qui travaille dans les services informatiques.
Nous courrons tous après le bonheur. La chasse au bonheur est ouverte touts les matins (Stendhal). Voyons comment rendre cela efficace.
C’est le problème de la motivation.
Il y a la motivation objective et la motivation subjective. Il faut un motif, une raison pour travailler. Un motif est un but intellectuel. Différent d’un mobile. Or André Comte-Sponville pense qu’il n’y a pas de buts intellectuels : l’intelligence n’a jamais fait courir personne. Si un de vos enfants ne travaille pas ses maths il faut le motiver. Or en réfléchissant, pour montrer qu’il faut faire des maths, nous utilisons d’autres facteurs de motivation que de dire : parce qu’il faut faire des Maths.
Bon ok je veux bien travailler mes maths mais montre moi mathématiquement qu’il faut faire des maths. Et bien il s’avère qu’un mathématicien n’est pas capable de montrer qu’il faut faire des mathématiques. Pour motiver votre gamin il va falloir trouver d’autres motivations pour lui faire faire des mathématiques. Tu veux faire de l’informatique ou être médecin ? Fais des mathématiques. SI cela ne marche pas, vous allez utiliser l’émotion : par exemple fait des maths pour faire plaisir à ta mère. Si cela ne marche toujours pas, vous allez utilisez d’autres moyens comme susciter l’envie : si tu bosses bien en math alors tu auras un nouvel ordinateur. Simple non ?
Il n’y a pas de buts intellectuels mais que des buts animés par le désir. Les philosophes appelent « désir » ce que l’on appelle « motivation » dans les livres de management. Aristote disait 4 siècles avant JC : le désir est l’unique fore motrice. Le seul moteur d’un homme ou d’une femme c’est le désir.
Spinoza disait aussi au 17eme : Le désir est l’essence meme de l’Homme
Bref tout ceci nous donne quelque chose d’intéressant sur le métier de Boss. Un chef d’entreprise doit donc donner du désir à son salarié. Un département Marketing doit susciter le désir pour que le client achète votre produit. Bref être manager c’est être un pro du désir. Marrant non ? Vous la voyez autrement votre chef maintenant non ? Les geeks ont de la chance car ils peuvent se susciter du plaisir, alors qu’un manager qui ne suscite pas de désir envers ses salariés est malheureux.
Pour vous tous, boss et geeks, la question la plus importante de toutes est donc celle-ci : qu’est-ce que le désir ? Vous avez tous fait d’excellentes études, mais personne ne vous a expliqué le désir. Bref on va comprendre et découvrir le désir.
Alors un peu de théorie pour commencer. La théorie de Platon et la théorie de Spinoza. Platon et Spinoza, deux théories vraies mais qui s’opposent frontalement.
Platon répond dans le livre « le Banquet ». Livre qui porte sur l’amour. Platon répond par une double équation :
L’amour est désir, le désir est manque.
Ce qu’on a pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour. En bref il n’y a pas d’amour parfait, car sinon il n’y a pas de désir. Etre heureux c’est avoir ce que l’on désire. Si le désir est manque, je désire uniquement ce que je n’ai pas. Je n’ai jamais ce que je désire. Donc je ne suis jamais heureux. Des qu’un de nos désirs est satisfait, il n’y a plus de désir. La vision de Platon : c’est le manque.
Pour mieux illustrer ce propos, André Comte-Sponville prend 3 exemples. Tout d’abord lui même, agrégé de philosophie. Lorsqu’il était étudiant, il souhait avoir l’agrégation. Il se disait : qu’est-ce que je serai heureux lorsque je serai agrégé… Un jour il obtient l’agrégation. Vous vous dites : est ce que cela vous a rendu heureux ?
Et bien non. Une fois le but atteint, il n’avait pas autant de joie que cela. Finalement une agrégation fait le bonheur tant que l’on a pas cette agrégation. On la désire. Mais une fois que celle-ci est obtenue, pas plus de bonheur que cela. Bref il n’y a pas d’agrégation heureuse.
Deuxième exemple : ce collaborateur que vous avez embauché il y a 6 mois. Celui qui sortait de 18 mois de chômage. Ce gars là se disait : qu’est-ce que je serai heureux si je retrouve un boulot… Et bien depuis qu’il a été embauché, le travail ne lui manque plus. Il en a tellement qu’il en a plein le dos. Il ne désir plus travailler. Et finalement le gars n’est pas heureux. Il est stressé au travail. Il désire maintenant profiter de ses week-ends, de la retraite et des vacances. Il n’aime plus son travail. Cela revient à dire que le travail ne peut faire le bonheur que d’un chômeur en suivant les principes de Platon. C’est bien la preuve que les salariés ne sont pas heureux parce qu’ils travaillent. Bref il n’y a pas de travail heureux.
3eme exemple : l’amour. Un Homme, une Femme : un couple. Tomber amoureux en langage Platonique : c’est découvrir que quelqu’un vous manque terriblement. Vous ne supportez plus de vivre sans lui ou sans elle. Bon vous êtes célibataire, vous tombez sur la personne qui vous manque terriblement : vous êtes amoureux. Vous tentez de la séduire. Si vous n’y arrivez pas, votre manque se transforme en chagrin. Si vous arrivez à séduire cette personne, vous êtes heureux. Mais bon, à force d’être avec cette personne tout le temps, cette personne vous manque de moins en moins, vous la désirez de moins en moins. Et bref vous l’aimez de moins en moins. Est-ce que je suis toujours amoureux de lui ? La réponse est non bien sur. Sinon vous vous poseriez pas la question. Vous ne l’aimez plus comme Platon.
Vous allez tomber de Platon à Schopenhauer. Le manque c’est la souffrance. Quand j’ai, je ne veux plus. Schopenhauer appelle cela l’ennui : absence du bonheur au lieu de la présence du bonheur. « Ainsi toute notre vie oscille de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui ». La souffrance car je désire ce que je n’ai pas, l’ennui car j’ai ce que je veux. Bref tout ceci semble un peu déprimant non ?
Alors revenons à notre métier dans l’IT. Il n’y a pas de métier sans ennui. Cependant un point important : si l’ennui est rare, alors vous êtes heureux. C’est une première clé pour le manager : si vos collaborateurs s’ennuient c’est qu’ils ont tout ce qu’ils veulent. Supprimer l’ennui pour que vos équipes soient plus heureuse.
Après Platon, André Comte-Sponville expose une deuxième théorie qui va venir nous remonter le moral. Baruch Spinoza, philosophe Hollandais du 17ème siècle aporte
Spinoza est ok pour dire que l’amour est désir. Mais par contre non, le désir n’est pas manque. le désir est puissance. Le manque c’est de la frustration. Pour Spinoza, Platon confond la faim et l’appétit. On ne dit pas « je te souhaite une bonne faim » mais un « bon appétit ». L’appétit c’est la puissance, jouir de ce qui ne manque pas. Je te souhaite bon appétit. Si le désir est puissance, l’amour est joie. Aimer c’est se réjouir. Il n’y a pas d’amour malheureux. L’inverse de Platon.
Qu’est-ce qu’un salarié malheureux ? Il court apres quelque chose qui lui manque. Toute la journée il s’ennuie. Il tombe de Platon en Schopenhauer.
Qu’est-ce qu’un salarié heureux ? C’est quelqu’un qui vient travailler chez vous car il manque d’argent. Il aime son travail car il a celui-ci en abondance. Au contraire de la vision Platonique, il n’y a pas de manque, il a une puissance qu’il peut exercer. Le boulot du manager c’est alors de les faire passer du manque à la puissance. Du manque à la joie.
Prenez par exemple le marketing : créé spécifiquement pour vous vendre quelque chose qui ne vous manque pas. Si vous prenez les chemises par exemple, le client n’entre pas dans le magasin torse-nu, mais avec une chemise. Il n’en n’a pas besoin, il n’y a pas de manques à proprement parler. Il faut donc lui vendre quelque chose dont il ne manque pas. Cependant, l’achat de votre superbe chemise lui donnera un sentiment de puissance car c’est une marque, et donc une joie. Remplacez la chemise par une licence SAP, ça marche aussi pour les DSI.
Qu’est-ce qui fait courir les clients ? Le désir ?
Si vos collaborateurs travaillent chez vous uniquement pour le manque d’argent, alors ils peuvent aller travailler chez le voisin. Ne comptez pas uniquement sur le manque de quelque chose pour les garder. Il faut absolument leur donner des choses dont ils ne manquent pas, comme par exemple une bonne ambiance au bureau. Il faut aussi par exemple augmenter leurs responsabilités, bref leur puissance. SI les salariés ont le sentiment d’exister car ils ont une forme de puissance, alors les meilleurs resteront avec vous. Si les clients augmentent leur puissance d’exister grâce à votre produit, s’ils aiment vos services, ils resteront avec vous. C’est exactement ce principe qui est appliqué pour les Appel-fans. Avoir un iphone permet à chacun de se sentir plus fort, donc plus heureux.
Bref passer de Platon à Spinoza
En conclusion, un bon manager n’est pas celui qui est aimé de ses collaborateurs. Etre aimé c’est être désiré, et être désiré c’est manquer à quelqu’un dans l’approche de Platon. Non, un bon manager c’est plutôt celui qui créé les bonnes conditions pour que le salarié aime son travail. En lui apportant du bonheur, de la puissance, en cassant l’ennui et en lui apportant ce que le salarié ne désire pas.
Pensez-y.
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