J’ai eu le plaisir de rencontrer Didier GIRARD, Responsable technique du groupe SFEIR, bloggeur depuis plus de 10 ans sur application-servers.com, et surtout, ami du Touilleur Express. Nous nous croisons à chaque conférence ou soirée du Paris JUG, Didier est la définition même du gars passionné. A l’occasion de la présentation du projet l’eXpress-Board aux équipes de SFEIR début mai, il m’a présenté quelques points très intéressants sur la place et la vision du développeur dans le monde de l’entreprise aujourd’hui.
Nicolas : Didier, comment imagines-tu le développeur dans les années qui viennent dans l’entreprise ?
– J’ai le sentiment que la crise de 2009, dont nous sommes sortis, va transformer notre métier. Après la vague de l’offshore il y a quelques années, il est temps de parler différemment aux développeurs. J’ai montré cette image d’un troupeau de mouton à mes développeurs. Etes-vous un mouton ou non ? Que voulez-vous faire dans les années qui viennent ? Cela a fait réagir, surtout après la crise.
– La crise ?
– Oui, s’il y a eu une crise en 2009, nous avons été moins sévèrement touché au niveau IT. Nous avions pris des coups récemment, ainsi il n’y a pas eu autant de dégâts que les crises précédentes (ndlr: 2002 pour le post-11/09, 2000 pour la bulle Internet…).
– Comment en parles-tu avec tes équipes ? Quel est le message en 2010 ?
– Cela fait longtemps que je pousse mes gars à être visible, à avoir des blogs, à être sur Twitter, à s’investir dans la communauté. Tanguy Bayard par exemple qui est au Paris JUG est un exemple de cela. Il est venu nous rencontrer, défendre le projet pour que SFEIR devienne sponsor l’an passé du Paris JUG. Je dis à mes développeurs, que ce qui fait que vous trouverez un emploi dans quelques années, ne sera plus simplement vos diplômes ou votre savoir, mais vous, en tant qu’individu au coeur d’un réseau social.
–Dans le dernier épisode des Cast Codeurs, Emmanuel Bernard parle de la personnalisation, de James Gosling qui représentait une part de Java chez SUN.
– Justement, je crois de plus en plus à cette personnalisation, même si il ne faut pas se transformer en une icône pour l’entreprise, au risque de rester pour de mauvaises raisons et à ne pas pouvoir en partir. Je dis à mes développeurs : vous êtes de passage chez SFEIR, vous continuerez un jour votre route. Je préfère vous voir partir parce que vous avez une bonne employabilité, plutôt que de vous voir rester avec une mauvaise employabilité, et ne pas vous faire plaisir. Alors évidemment, nous prenons des risques, nous les rendons visibles, nous les faisons monter en compétences. Mais la contrepartie est que SFEIR sera une entreprise qui concentrera des talents.
–Quelle serait ta vision du développeur en 2010 ?
– L’informaticien qui est derrière son clavier, qui ne parle à personne, c’est terminé. Le Geek qui ne parle à personne appartient à l’ancien modèle. Le développeur de 2010 est quelqu’un de communiquant. Il va rencontrer d’autres développeurs, il lit des blogs, il twitte et il participe à des conférences en auditeur et en speaker. Je pense aussi que notre métier va se féminiser plus rapidement qu’il ne l’a fait jusqu’à maintenant. Là où il y a 10-15 ans, il était normal pour un développeur de passer 8h derrière son ordinateur sans trop communiquer, aujourd’hui c’est terminé. Et je pense que les femmes ont beaucoup à nous apprendre, sur la capacité à travailler en groupe, à communiquer et à faire état de ses problèmes techniques ouvertement. Je crois vraiment que le développeur « seul » et immergé dans son code est derrière nous.
– Et l’Agilité ?
– Cela fait 3 ans pour nous, que nous travaillons avec l’Agilité. Cela se diffuse dans le fonctionnement de SFEIR. Par exemple nous faisons des ROTI lors des réunions. L’idée de l’amener chez SFEIR, c’est d’observer comment les principes Agiles peuvent modifier et améliorer les valeurs de notre entreprise. Je souhaite hydrater les racines de l’entreprise, et changer à moyen-long terme notre entreprise. C’est une belle expérience, et nous travaillons avec le management pour mettre en place ce système. Ceci est possible car mon PDG est parti prenante et que nous avons chez SFEIR de grands agilistes comme Oana Juncu.
– Cela apporte de la valeur, mais comment cela se passe-t-il avec les clients ?
– Nous les projets chez nos clients, sont des succès, l’agilité y est pour beaucoup. Nous perdons des propositions commerciales car nous répondons en Agile là où d’autres répondent encore avec des méthodes classiques. Ce n’est pas un accélérateur de vente, c’est un choix différent pour proposer quelque chose de bien pour nos clients et pour nous. Et ceux qui nous font confiance sont là pour témoigner que l’agilité fonctionne. Les projets agiles réussissent, et nous remplissons notre mission de société de conseils.
– Faire de l’Agile ne fait donc pas gagner plus de contrats ?
– Non, c’est faire le choix de la piste noir au ski au lieu de la piste vert. C’est parce que l’Agile n’est pas facile, que cela demande un travail et de l’expérience, que tout le monde ne peut pas se lancer. Si tu es convaincu, si tu sais faire, le client s’en souvient. Si son projet en méthodes classiques ne marche pas, il revient te voir car il se souvient de ta proposition différente, des valeurs que tu proposais. Et il devient alors possible de travailler ensemble et de réussir un nouveau projet.
Le jour où l’Agilité sera un argument marketing, cela ne fonctionnera plus. Pire, les clients seront déçus de l’Agilité, car alors l’agilité sera mis en oeuvre par des personnes qui ne sont pas capables de la mettre en oeuvre.
– Mais n’est-ce pas le cas ? L’Agilité fait vendre non ?
– Je ne pense pas. Les avant-ventes pour moi ne sont pas faciles. Lorsque nous parlons Agilité, nous devons déployer plus d’efforts.
– Sur un autre sujet, parlons un peu du Cloud Computing. Où en êtes-vous chez SFEIR avec Google App Engine ?
– C’est une révolution. Cela va changer complètement les règles du jeu dans les années à venir. Démarrer un nouveau projet directement sur le Cloud : pour moi la réponse est oui, sans hésiter. Il y a des anti-patterns, après deux ans de mise en oeuvre progressive, nous commençons à les connaitre.
– Cependant côté prix, c’est encore un peu cher non ?
– Si tu penses à ton projet où tu es seul, peut-être que oui par rapport à une machine dédiée chez un hébergeur. Pour une entreprise, c’est aussi des compétences IT de haut niveau, des outils de monitoring, la surveillance, les sauvegardes, bref toutes ces sources d’immobilisations importantes dans une architecture classique, qui disparaissent lorsque tu passes en mode « location » sur le Cloud. C’est aussi simple que cela.
Lorsqu’il y a une faille de sécurité coté infrastructure, tu peux te dire que tu ne feras pas mieux que les gens d’Amazon ou que de Google. En tant qu’individu, il est plus rentable de coder sur ton application plutôt que de passer du temps à installer ta propre machine non ?
– Parlons un peu mobile. SFEIR est très impliqué dans le monde Android. Est-ce que les clients demandent à faire des développements sur Android ou sur iPhone ?
– C’est différent. Nous proposons systématiquement aux projets Webs classiques, de développer dès maintenant des services à forte valeur ajoutée pour les mobiles. Nous développons actuellement Modding, un framework web dédié au développement pour mobile. Il reprend les patterns Android et les adaptent au web.
Lorsqu’une application Web offre un accès smartphone dédié, avec une interface adapté, cela décuple l’utilité de la plate-forme Web. Le projet Google Apps Market Place va d’ailleurs dans ce sens.
–Google Apps Market Place ?
– Google a sorti il y a quelques temps une place de marché pour les applications d’entreprises. Cela veut dire que tu développes un service, par exemple ton moteur de Job Board. Tu t’arranges pour qu’il soit multi-entreprises, réutilisable en marque blanche, tu le déposes sur la Market Place Google Apps, et tu peux alors le commercialiser…
– Wow, cela va révolutionner le monde de l’open-source non ?
– Oui, je pense que les logiciels opensource qui offrent du fonctionnel, je pense a SPIP/DRUPAL/NUKE et consorts, vont devoir se repositionner au risque de disparaitre. Par exemple, notre site web est managé par WolEngine, un moteur que nous avons developpé pour tester AppEngine. Poser le WolEngine sur la Market Place Google Apps n’est pas un défi, c’est plus une histoire de temps. Si nous le faisons nous proposons alors à toute entreprise qui a adopté Google Apps un mini CMS. Etant donné que l’hébergement est peu couteux, nous pouvons proposer un service avec un coût très bas.
– Il y a un côté Artisan dans ta vision, par rapport à la place du développeur…
– Je pense que l’on peut terminer sur cette idée en effet. La place du développeur dans l’Entreprise change. Je pense que nous sommes de plus en plus des Artisans, et non pas des « développeurs standards » qui produisent « des jours/hommes » de code. Je pense que l’Artisan qui développe un service pour mobile ou pour la plateforme Google Apps, aura plus de chances de réussir, qu’un groupe industriel avec 500 informaticiens standards.
Pour nous développeurs, c’est une opportunité colossale.
– Je parlais de Compagnonnage lors d’une discussion, cette vision où tu aides les plus jeunes. Le mot Artisan devient donc très important, ce qui est plutôt valorisant non ?
– Complètement ! Dans notre métier, l’internet, le Cloud et les outils de Google redéfinissent la notion de proximité professionnelle. Historiquement, un développeur avait une proximité professionnelle qui se limitait à son lieu de travail. Si demain, tu imagines un développeur qui a crée une petite application, qu’il l’héberge sur le cloud, et qu’il vend le service sur une Market Place, je pense qu’il n’est plus développeur, mais Artisan développeur, avec un nom et une clientèle. J’encourage donc mes développeurs chez SFEIR à regarder dehors, à communiquer, à faire parler d’eux en tant qu’individu. Je crois à l’Artisan-Développeur.
– Le mot de la fin ?
– Je crois profondément que le modèle des boîtes de services va changer. En France, nous ne pouvons pas nous passer des SSII. Cependant il est possible de définir, de proposer et de montrer aux clients autre chose que la vision de ces 30 dernières années. Et j’y crois. J’ai la vision d’une entreprise humaniste, où le développeur améliore ses connaissances, son réseau et ses contacts. Où les clients sont certains de recevoir la meilleure expertise, et peuvent travailler de manière collaborative avec nous. J’y crois.
– Merci Didier pour ces retours, on se voit quand ?
– Je serai à l’USI en juillet prochain, avec une présentation sur le Cloud Computing. Au Paris JUG sinon, avec plaisir.
– Merci et à bientôt
– Merci à toi, à bientôt.
Crédit photo : Séebastien Stormacq pour le YaJUG (Luxembourg), reprise et modifiée avec son autorisation.
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Je ne peux qu’approuver le discours sur l’Artisan…
Eric Samson.
Hé hé le Geek 2.0 qui décide de se donner la peine d’être communicant, il devient tout simplement PetitChef… Travailler moins pour gagner plus c’est quand même sympa.
Hello,
J’ai bien la définition du développeur 2010!
Point de vue intéressant, il y a de nombreuses valeurs que je trouve justes : développeur artisan, employabilité à travers une exposition sur le web, compagnonnage, entreprise humaniste…
J’aime plutôt le discours « honnête », qui consiste à présenter la SSII comme un accélérateur de carrière, un ascenseur qui prend les gens, les fait évoluer et les laisse partir quelques années plus tard. Ya le même discours chez nous, quand tu rentres tu sais (et les patrons le disent eux même) que tu es en moyenne là pour 4 à 5 ans, et ce n’est pas présenté comme un taux de turnover, juste une évolution naturelle des choses.
Les blogs sont clairement un moyen pour augmenter l’exposition de ses propres employés. Les inciter à participer à des conférences (assister, puis speaker) en est un autre. Avez-vous d’autres idées du même acabit ?
Je n’ai pas de blog, je ne twitte pas, je ne vais pas aux conférences … Un mouton 2.0 ça n’intéresse vraiment personne? Non? Bon alors il faudrait que je pense à me démoutonniser un de ces quatre …
Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit, mais je trouve ce discours très adapté à des indépendants ou des personnes qui travaillent dans un département R&D.
Pour ceux qui bossent en SSII , je me demande quand ils vont trouver le temps de faire tout cela?
La tendance actuelle est d’en demander toujours plus, mais pour un salaire qui stagne … Or être un geek coute du temps et de l’argent (y’a qu’a voir le prix de l’IPAD).
Enfin, l’adéquation entre les intérêts du Geek et le marché n’étant pas toujours les mêmes, il me semble important de renforcer la formation professionnelle.
Maintenir l’employabilité c’est donc former et mentorer …
Pour ceux qui parlent anglais, voici les conseils de brian gallagher d’EMC (http://wikibon.org/blog/emcs-brian-gallagher-advice-to-young-engineers/).